de Marc Stéphane.

La Cité des fous est le témoignage de l’écrivain Marc Stéphane, scandaleusement inconnu aujourd’hui, sur ses 3 mois passés à Ste Anne au début du vingtième siècle.

Indéniablement, ce livre est un document sur l’internement et les « traitements » de la folie à l’époque. Mais par sa langue exceptionnelle, orale et argotique et dont le préfacier a raison de dire qu’elle annonce Louis-Ferdinand Céline, La Cité des fous s’inscrit de plein droit – et avec quelle maestria – dans la littérature. Marc Stéphane multiplie les portraits tragi-comiques de ses petits camarades. Si les délires des uns et des autres prêtent à rire, Marc Stéphane est, à l’endroit des « louftingues », plein d’humanité. Le rire n’est jamais ici un jugement ou une condamnation.

Il y a bien cinq minutes que je subis cette avalanche de paroles obtuses et apocalyptiques, sans sourciller ni piper mot, et je crois remarquer une sourde fureur dans les petits yeux gris bleus, un peu gorisants, qui me fusillent à bonne portée. Tout à coup, trois signent de croix foudroyant comme autant d’éclairs, du front au creux du giron, et la tempête éclate, brutale et déconcertante ! « Apprrroche ici monstrrre inferrrnel, auteur de tout le mel ! Approche ici, que je t’écrrrèse, que je t’écrrrèse ! – tout en ligne drouète ! » Miséricorde, faut-il pas me sauver promptement ?… Non car déjà, soulagé, débondé, satisfait, paisible et finassier, Jean-Marie s’éloigne en quête de feu, m’ayant tapé d’une pipe copieuse, et chantant à pleine gorge : « Lauda, lauda, lauda te Mari-i â â â ! »

Quant au personnel, Marc Stéphane sait aussi prendre du recul, suspendre son jugement, analyser les conditions de travail et comprendre son énervement. Seule l’hypocrite société, à qui Marc Stéphane réserve ses mots les plus durs et des condamnations sans équivoque, ne trouve pas de grâce aux yeux de cet anarchiste revendiqué. Cela ne l’empêche pas de manier une ironie féroce lorsqu’il évoque les brutalités quotidiennes des infirmiers…

Décidément, ces braves gens ont raté leur vocation, en s’improvisant Chevaliers du clystère, dans la Cité des fous. Ils seraient de bien meilleurs apaches. Car tandis que Briond amuse son malade d’invites douceureuses, Busier, toujours à l’affût de la beigne, franchit à pied de loup le gazon et vient par derrière lacer le coup d’Antignac, de son bras robuste. Et lors, pendant que celui-ci à demi étranglé, grimace et se tortille, éjecte la langue et commence à râler, tous les infirmiers accourent à la rescousse, se jettent courageusement sur lui, et à puissantes bourrades de genoux et de pognes dans l’estomac, ont tôt fait de l’amener à quia. Le malheureux sera plus d’une heure à se remettre de ce tabac étourdissant.

La Cité des fous est un texte absolument remarquable et une porte d’entrée idéal dans le catalogue des Éditions de l’arbre vengeur, qui regorge de pépites oubliées !

Julien

La Cité des fous de Marc Stéphane, Éditions de l’arbre vengeur.